Déchiffrez le monde !

Toute action de l’homme, tout savoir, toute expérience n’a de sens que dans la mesure où l’on peut en parler(1)

Bazar théâtre cabaret algérois

À partir d’un recueil de nouvelles d’Aziz Chouaki portant le même nom, ce cabaret théâtral s’inspire d’un genre spectaculaire le music-hall politique.

Notre désir d’une relation au monde

Notre désir d’une relation au monde nous a poussé à explorer l’univers littéraire d’un auteur algérien qui vit de l’autre côté de la Méditerranée, pays qui paradoxalement nous apparaît quelquefois si étranger et si lointain.

L’auteur

L’auteur est né en Algérie réside en France depuis 1991. Dramaturge, romancier et musicien, il se fera connaître par Les Oranges, texte monté de très nombreuses fois à ce jour. Dans ses romans, Baya, l’Etoile d’Alger, Aigle, Arobase de même que dans ses pièces, El Maestro, l’Arrêt de Bus, Une Virée, les Coloniaux, Aziz Chouaki se distingue par son point de vue sur l’état du monde, à la fois très cynique sur le fond, il cisèle la forme, travaillant le vivant, traquant l’humour au coeur même du drame algérien et autre. Son théâtre est aujourd’hui fréquemment monté en France.

Une vision absurde proche du non-sens

Bazar donne à voir, dans une Algérie et un monde souvent absurdes, les tribulations de personnages parfois proches de Chaplin, aux facettes parodiques, humoristiques, poétiques, cherchant une fuite à un destin subi. Regards de dérision portés sur une société et sur soi. Existences chaotiques où l’on rêve de gloire et où l’on cherche sa place dans « ce grand bazar mondial » régie selon la loi de la débrouille, du marché noir, du trabendo.

Le choix du genre théâtral

Bazar associe à un théâtre de conteurs, (acteurs), de foire et de tréteaux (espace publique), la musique (espace sonore et mélodique) et la projection d’images (espace de projection visuelle). Il trouve une première forme en bistrot. Comédiens, scénographe, costumière, musiciens, pratiquent un théâtre s’inscrivant dans une tradition celle du cabaret et de la poésie de comptoir.

L’influence des médias pousse les personnages à se réfugier dans un monde virtuel.
Contracté par l’électricité notre monde devient « un leurre » et nous fait croire que nous sommes dans un village planétaire. L’écriture d’Aziz Chouaki reflète les prolongements technologiques des corps dus aux medias. Ses écrits révèlent une conscience de plus en plus hantée par une totalité technologique jetée comme un filet fantasmagorique sur l’ensemble du globe, abolissant ainsi l’espace et le temps. Le prolongement ou prothèse technologique de l’homme que ce soit de la peau, de la main ou des pieds, influe sur l’ensemble de son complexe psychique et social. L’Algérie dont Aziz Chouaki rend compte est un univers traversé par une modernité à laquelle ses personnages se heurtent se brûlent et finissent par en succomber.

L’auteur nous donne sa perception du monde à travers le filtre du music-hall, révélant un bazar nocturne de strass et de paillettes. Ses personnages semblent sortir tout droit d’une BD, d’un dessin animé, d’un film. Ils rêvent d’une ascension sociale facile telle que l’ont connue des stars, hollywoodiennes. Dans cette pseudo-réalité, véritable fantasmagorie importée des E.U. relayée par les médias, les personnages évoluent dans une société aliénée condamnée à consommer des paradis artificiels fabriqués par une industrie du rêve profondément cynique qui ne songe aucunement au bien être des personnes. Aziz Chouaki décrit un monde aliéné, qui opère une double retraite, fuyant la Terre pour l’Univers et le Monde pour le MOI. La mondialisation se distille jusqu’au fin fond du désert du Sahara.

L’aspect politique de l’œuvre

Aziz Chouaki critique fortement l’état de délabrement politique économique social qui broie ses « êtres « qui s’abîment dans l’alcool, l’ennui, le désespoir face à un futur où il n’y a aucune perspective pour eux d’évoluer ou de trouver une issue. Ils sont condamnés à survivre dans une misère totale et par désespoir ils peuvent adhérer à n’importe quelle forme d’intégrisme qui sera leur refuge ultime. Nous avons eu recours à un théâtre populaire pour évoquer la misère et la terreur d’un peuple pris en otage par une guerre civile qui sévissait de 1991 à 1998. Aziz Chouaki a été contraint à l’exil.

Pour faire reculer l’horreur raconter des histoires comme dans les contes des mille et une nuit

Peut-être comme dans les contes de mille et une nuit, s’agit-il de prendre le temps, simplement, de raconter des histoires, histoires d’hommes, de chiens, de fourmis et d’étoiles pour écarter la violence. Parce que, comme l’écrit Aziz Chouaki,  »ça fait pas de mal quelquefois d’imaginer des mots qui font voyager … « . Cette langue algéroise faite de poésie et de grossièretés se prête merveilleusement à l’oralité. Elle passe du lyrisme de la mémoire à la trivialité du quotidien.

Ne pas se résigner à ne pas déchiffrer le monde

Au-delà de la crise politique interne récente, au-delà du conflit franco-algérien, il nous est apparu nécessaire de chercher à déchiffrer une complexité dont nous percevions les échos que par les médias en nous familiarisant à travers un auteur à un pays en guerre. La littérature est un des recours dont nous disposons pour comprendre, cerner, décrire l’étrangeté dont nous avons trop souvent peur. Plutôt que de chercher l’origine du mal comme les personnages d’Aziz nous sommes tentés de nous replier sur nous-mêmes, de nous réfugier dans un monde virtuel parce que nous rejetons une réalité que nous ne comprenons pas.

Notre nécessité et notre certitude sont ne pas cédées à la diabolisation de l’Autre. Au contraire cultivons la curiosité, ouvrons grande nos fenêtres, car puisque la Terre nous est fragile, sachons la préserver contre la violence.

©Pascale Spengler, Strasbourg le 11 mars 2009


(1) Hannah Arendt Condition de l’homme moderne